Les Népalaises de l’Everest – Anne Benoit-Janin

Une bonne interview est souvent bien meilleure qu’une longue description…

La conquête de l’Everest est aussi une affaire de femmes au Népal.

La sociologue Anne Benoit-Janin est l’autrice du livre  » Les Népalaises de l’Everest « , aux éditions Glénat.

Anne Benoit-Janin, le Népal semble un pays paisible, mais qu’en est-il réellement pour les femmes ?

Leur condition est archaïque. La femme doit être au foyer n’a pas de citoyenneté. Elle n’est pas instruite, et l’homme peut la répudier facilement… Quand on circule au Népal, on voit des femmes souriantes avec des enfants, mais cela cache une triste réalité. 20000 enfants par an y meurent de diarrhées. Les femmes assument toutes les tâches. Le suicide est une des premières causes de mortalité. Ça en dit long.

Qui était Pasang Lhamu Sherpa ?

C’est la première femme sherpa à avoir atteint le sommet de l’Everest. Il y a une statue d’elle à Katmandou. C’était la femme de Sonam Sherpa, un grand nom dans le milieu de l’himalayisme. Après trois tentatives en 1989, 1991, et 1992, elle réussit en 1993, mais meurt à la descente. Elle a donné du sens à son ascension. Elle s’est dit :  » Mais l’Everest c’est aussi notre montagne, et pourtant, nous, les femmes, on ne l’a jamais gravie.  »

Il y avait de gros enjeux. Son discours s’affine au fil des expéditions, elle organise elle-même sa dernière tentative. Elle dira :  » Je ne suis pas née alpiniste. Je suis une femme au foyer, mais j’essaye et j’espère que je vais réussir l’Everest. Je fais cela dans le but d’inspirer les autres femmes.  »

Une femme sur l’Everest, en quoi est-ce différent d’un homme ?

On a longtemps dit que cette montagne n’était pas pour elles ni pour les non-sherpas. Les femmes doivent partir en montagne et dormir sous la tente avec des hommes. Elles vont sûrement avoir leurs règles en altitude, et seront alors considérées comme impures. Au Népal, les femmes ayant leurs règles ne doivent pas toucher ni la nourriture ni les gens, et sont exclues. Une expédition signifie qu’elles quittent leur foyer pour plus de deux mois. C’est juste impensable dans la tête des femmes, et dans celle des hommes, des familles… C’est vraiment ancré dans les esprits.

Y a-t-il eu des vocations depuis Pasang Lhamu ?

Ça participe à un mouvement général de voir ces femmes partout, elles sont considérées comme des héroïnes. Mais elles remarquent qu’il n’y a pas vraiment eu de vocations après ces exploits. Elles ont un mal fou à se libérer du carcan de la société dans laquelle elles baignent depuis l’enfance. C’est un combat contre elles-mêmes, et contre la société.

Le premier frein, c’est la famille ?

La femme doit servir sa famille, et sa belle-famille. Elle a une charge énorme. Il faut néanmoins souligner le rôle des hommes dans l’émancipation. Sonam Sherpa a soutenu sa femme Pasang Lamu. Doma Sherpa Pinasa, première journaliste sherpa à atteindre le sommet de l’Everest, était soutenue par son père. Des hommes étrangers ont aidé Dawa Yangzum Sherpa à devenir la première femme népalaise guide internationale de haute montagne. Ils peuvent être un frein comme un soutien énorme. Tout le monde a à y gagner.

Une Népalaise vous a étonnée ?

Lakpa Sherpa, c’est un ovni. Elle a gravi neuf fois l’Everest, c’est un record mondial féminin. À quinze ans, elle est à Katmandou lors de la descente du corps de Pasang Lhamu Sherpa. Elle dira qu’elle a ressenti une grande force, un souffle venir sur elle, comme si Pasang Lhamu se réincarnait en elle. Elle vit aux États-Unis de petits boulots, elle est d’une modestie incroyable.